Uvira : les investisseurs s'arrachent les terres
Ces derniers temps, près d'Uvira (Sud-Kivu), des investisseurs nationaux et étrangers achètent des terrains et y construisent des ports ou des hôtels. Ils créent des emplois, mais privent les agriculteurs de leurs terres et augmentent aussi les conflits fonciers.
Pioches, bêches et houes en mains, une trentaine de femmes et d’hommes tracent et creusent les fondations d’un immeuble à appartements. La scène se passe au Sud-Kivu, à Kabimba, une localité à environ 8 km au sud d’Uvira. À quelques mètres de là, dans la même concession, des femmes aspergent d’eau les fondations d’un immeuble destiné à devenir un hôtel et des jeunes fabriquent des briques avec du ciment… C’est l’effervescence dans ce chantier de la société Elmay et frères qui dispose de bateaux sur les lacs Tanganyika et Kivu. Dans cette concession seront ainsi construits : un hôtel, des appartements, un terrain de foot et de basket et une plage. Une cabine électrique alimentera l'endroit. Les habitants de cette localité devraient, normalement, en profiter.
Dans cette partie du territoire d’Uvira, ces dernières années, des investisseurs nationaux et parfois étrangers déferlent, en quête de terres, il y a peu occupées par des agriculteurs et des éleveurs. Le préfet d’une école locale estime leur arrivée massive vers 2009, lorsque le président de la République a lui-même acquis une grande concession au bord du lac, à Kabimba. ″Après lui, d'autres hommes politiques et d'affaires sont venus acheter, auprès des paysans, des terrains pour être voisins du président″, ironise-t-il.
"Manutentionnaires, gardiens, matelots″
Jingwa Wajidangaya, notable de Kabimba, constate que sur une distance de 5 km, de Kivovo à Kakumba au sud d’Uvira, sauf deux concessions que les propriétaires s’abstiennent encore de vendre, toutes les autres sont déjà acquises par des hommes d’affaires. Il y a peu, ces entités étaient habitées seulement par des pêcheurs et des agriculteurs qui cultivaient près du lac. Actuellement, la construction de ports privés est en plein essor. On en dénombre trois, outre le port public de Kalundu, le deuxième du pays après celui de Matadi (Bas-Congo).
Certains y trouvent de l’emploi. ″Dans ces différents ports privés, une soixantaine de jeunes sont engagés comme manutentionnaires, gardiens, matelots, etc.″, énumère Frédéric Mulalwe, journaliste et natif de Kabimba. Et, dans ces nombreux chantiers en cours et à venir, ajoute Baleje Mulihyo, chef de localité de Kabimba, la plupart des maçons et leurs aides sont "des fils de chez nous".
Mais, une fois qu'ils ont acquis leurs concessions, certains nouveaux propriétaires les clôturent ou interdisent aux gens d’y passer. "Si tous clôturent leurs parcelles, imagine B. Mulihyo, les habitants n'auront plus d'endroit où circuler au bord du lac. Quant aux pêcheurs, ils ne sauront plus où faire sécher leurs fretins. Et les habitants, habitués à se baigner dans le lac, où iront-ils ?″
Terres inexploitées et convoitées
Toutefois, pour le moment, rares sont ceux qui ont commencé à mettre en valeur leurs concessions. ″Ils ont seulement acheté et borné des parcelles, mais aucun travail n'a encore commencé″, certifie Ramazani Mwenekyage, chef de localité Katongo, voisine de Kabimba. Dans son entité, par exemple, 87 cultivateurs avaient cédé, entre 2008 et 2011 une vaste étendue de terre à des investisseurs coréens. Ceux-ci leur avaient promis d’y construire une université, une usine de sardines et de biscuits, une église et une plage contre seulement… 80 $ (!) donnés à chacun pour sa portion de terre. Une somme insignifiante, commente R. Mwenekyage mais ″comme une université devait y être érigée au profit de tout le monde dans cette localité qui n'en a jamais connue, les agriculteurs ont rapidement cédé…″ Excepté les fondations d’un immeuble, aucun travail n’y a été entrepris jusqu’à présent.
Il en est de même dans plusieurs autres concessions. Certains agriculteurs, qui manquent à présent de terres à cultiver, regrettent de les avoir cédées alors qu'elles ne sont pas mises en valeur. Mais, les nouveaux acquéreurs n’admettent plus qu’ils y cultivent. Certains vivent donc d'autres champs dans les montagnes surplombant ces localités. D’autres survivent de débrouillardise.
La venue d'investisseurs s'accompagne d'une autre évolution. Localement, les parcelles prennent de la valeur. Celles qui valaient 300 à 500 $ avant 2009, sont achetées actuellement jusqu’à 1 000 $ pour celles non bordées par le lac (soit deux à trois fois plus). Le prix de celles qui le sont a été multiplié par cinq à six fois et peut atteindre 3000 $.
Du coup, les habitants se les disputent et le nombre de conflits fonciers augmente. Mais, la plupart de ces querelles sont réglées à l'amiable, par les chefs de localités. À Kabimba, Baleje Mulihyo tranche au moins un litige foncier chaque semaine. Ces différends portent souvent sur la délimitation des terrains ou leur partage entre légataires d’une succession.
Pierre Kilele Muzaliwa
Source: http://syfia-grands-lacs.info
Ces derniers temps, près d'Uvira (Sud-Kivu), des investisseurs nationaux et étrangers achètent des terrains et y construisent des ports ou des hôtels. Ils créent des emplois, mais privent les agriculteurs de leurs terres et augmentent aussi les conflits fonciers.
Pioches, bêches et houes en mains, une trentaine de femmes et d’hommes tracent et creusent les fondations d’un immeuble à appartements. La scène se passe au Sud-Kivu, à Kabimba, une localité à environ 8 km au sud d’Uvira. À quelques mètres de là, dans la même concession, des femmes aspergent d’eau les fondations d’un immeuble destiné à devenir un hôtel et des jeunes fabriquent des briques avec du ciment… C’est l’effervescence dans ce chantier de la société Elmay et frères qui dispose de bateaux sur les lacs Tanganyika et Kivu. Dans cette concession seront ainsi construits : un hôtel, des appartements, un terrain de foot et de basket et une plage. Une cabine électrique alimentera l'endroit. Les habitants de cette localité devraient, normalement, en profiter.
Dans cette partie du territoire d’Uvira, ces dernières années, des investisseurs nationaux et parfois étrangers déferlent, en quête de terres, il y a peu occupées par des agriculteurs et des éleveurs. Le préfet d’une école locale estime leur arrivée massive vers 2009, lorsque le président de la République a lui-même acquis une grande concession au bord du lac, à Kabimba. ″Après lui, d'autres hommes politiques et d'affaires sont venus acheter, auprès des paysans, des terrains pour être voisins du président″, ironise-t-il.
"Manutentionnaires, gardiens, matelots″
Jingwa Wajidangaya, notable de Kabimba, constate que sur une distance de 5 km, de Kivovo à Kakumba au sud d’Uvira, sauf deux concessions que les propriétaires s’abstiennent encore de vendre, toutes les autres sont déjà acquises par des hommes d’affaires. Il y a peu, ces entités étaient habitées seulement par des pêcheurs et des agriculteurs qui cultivaient près du lac. Actuellement, la construction de ports privés est en plein essor. On en dénombre trois, outre le port public de Kalundu, le deuxième du pays après celui de Matadi (Bas-Congo).
Certains y trouvent de l’emploi. ″Dans ces différents ports privés, une soixantaine de jeunes sont engagés comme manutentionnaires, gardiens, matelots, etc.″, énumère Frédéric Mulalwe, journaliste et natif de Kabimba. Et, dans ces nombreux chantiers en cours et à venir, ajoute Baleje Mulihyo, chef de localité de Kabimba, la plupart des maçons et leurs aides sont "des fils de chez nous".
Mais, une fois qu'ils ont acquis leurs concessions, certains nouveaux propriétaires les clôturent ou interdisent aux gens d’y passer. "Si tous clôturent leurs parcelles, imagine B. Mulihyo, les habitants n'auront plus d'endroit où circuler au bord du lac. Quant aux pêcheurs, ils ne sauront plus où faire sécher leurs fretins. Et les habitants, habitués à se baigner dans le lac, où iront-ils ?″
Terres inexploitées et convoitées
Toutefois, pour le moment, rares sont ceux qui ont commencé à mettre en valeur leurs concessions. ″Ils ont seulement acheté et borné des parcelles, mais aucun travail n'a encore commencé″, certifie Ramazani Mwenekyage, chef de localité Katongo, voisine de Kabimba. Dans son entité, par exemple, 87 cultivateurs avaient cédé, entre 2008 et 2011 une vaste étendue de terre à des investisseurs coréens. Ceux-ci leur avaient promis d’y construire une université, une usine de sardines et de biscuits, une église et une plage contre seulement… 80 $ (!) donnés à chacun pour sa portion de terre. Une somme insignifiante, commente R. Mwenekyage mais ″comme une université devait y être érigée au profit de tout le monde dans cette localité qui n'en a jamais connue, les agriculteurs ont rapidement cédé…″ Excepté les fondations d’un immeuble, aucun travail n’y a été entrepris jusqu’à présent.
Il en est de même dans plusieurs autres concessions. Certains agriculteurs, qui manquent à présent de terres à cultiver, regrettent de les avoir cédées alors qu'elles ne sont pas mises en valeur. Mais, les nouveaux acquéreurs n’admettent plus qu’ils y cultivent. Certains vivent donc d'autres champs dans les montagnes surplombant ces localités. D’autres survivent de débrouillardise.
La venue d'investisseurs s'accompagne d'une autre évolution. Localement, les parcelles prennent de la valeur. Celles qui valaient 300 à 500 $ avant 2009, sont achetées actuellement jusqu’à 1 000 $ pour celles non bordées par le lac (soit deux à trois fois plus). Le prix de celles qui le sont a été multiplié par cinq à six fois et peut atteindre 3000 $.
Du coup, les habitants se les disputent et le nombre de conflits fonciers augmente. Mais, la plupart de ces querelles sont réglées à l'amiable, par les chefs de localités. À Kabimba, Baleje Mulihyo tranche au moins un litige foncier chaque semaine. Ces différends portent souvent sur la délimitation des terrains ou leur partage entre légataires d’une succession.
Pierre Kilele Muzaliwa
Source: http://syfia-grands-lacs.info